Face à une justice civile débordée, la médiation devient un marché convoité

Publié par institut_admin le

Les modes alternatifs de règlement des différends ont le vent en poupe. La concurrence s’aiguise entre les professionnels du droit alors que tout le monde peut se déclarer médiateur. 

Par Jean-Baptiste Jacquin

Face à une justice débordée qui a bien du mal à remplir sa mission de trancher les conflits pour apaiser la société, le gouvernement veut encourager les modes alternatifs de règlement des différends. « Il faut développer puissamment la conciliation et la médiation », a affirmé la garde des sceaux, Nicole Belloubet, le 5 octobre, en lançant les cinq chantiers de la justice censés déboucher sur des projets de réformes au printemps 2018.

Deux dispositifs coexistent. L’un gratuit et reposant sur un réseau de bénévoles assermentés auprès des cours d’appel pour résoudre les petits litiges du quotidien : la conciliation. L’autre, facturé aux parties, faisant intervenir des professionnels et pouvant porter sur des contentieux beaucoup plus lourds : la médiation.

Ces deux modes de résolution des conflits sont voisins dans leur principe : une tierce personne amène deux parties à se parler autour d’une table afin de trouver un accord. « Notre travail est de restaurer la parole »,explique Didier Morfoisse, président de l’Association nationale des médiateurs. « Au tribunal, il y a un gagnant et un perdant, tandis que chez nous, il y a un gagnant et un gagnant », dit Catherine Chini-Germain, vice-présidente de l’Association des conciliateurs de la cour d’appel de Paris.

« Marché concurrentiel »

Alors que les cours d’appel peinent à recruter des conciliateurs de justice, la médiation est en train de se professionnaliser et de devenir un véritable marché. Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux (CNB), a ainsi évoqué le 20 septembre, en lançant un annuaire en ligne des avocats médiateurs, « les autres professions qui convoitent ce marché concurrentiel ».

« La France a été l’un des premiers pays à promouvoir la médiation judiciaire avec la loi de 1995, mais celle-ci représente encore moins de 1 % des modes de résolution des différends »,détaille Chantal Arens, première présidente de la cour d’appel de Paris.

L’explication viendrait d’un manque d’intérêt des magistrats et de l’absence d’une véritable politique publique en la matière. « Pourtant, certains magistrats convaincus parviennent à ordonner la médiation dans 30 % de leurs dossiers », précise-t-elle. Par exemple dans des affaires de liquidation de régimes matrimoniaux ou des litiges en matière de construction.

« Une économie d’argent et de temps »

Les huissiers et les notaires ont eux aussi mis récemment sur pied leurs propres plates-formes de médiation tandis que les associations de médiateurs plaident leur différence. « C’est un marché qui va se structurer », prévient Sophie Henry, déléguée générale du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP), créé dès 1995 par la chambre de commerce. Positionné sur le secteur des entreprises, ce centre traite des litiges qui peuvent représenter plusieurs centaines de millions d’euros, avec un taux de succès de 82 % lorsque la médiation est volontaire chez les deux parties (médiation conventionnelle), et de 58 % lorsqu’elle est demandée par un juge (médiation judiciaire).

La médiation est un processus formalisé qui dure rarement plus de deux mois. De plus, contrairement à une décision imposée par un tribunal, il n’y a pas ici de procédure d’appel. Autre avantage pour les entreprises : la confidentialité des débats. Même en cas de médiation voulue par le juge, celui-ci n’aura pas à connaître le contenu de l’accord final.

Des atouts auxquels les particuliers peuvent également être sensibles. « C’est une économie considérable en termes d’argent, de temps et d’énergie pour la justice et pour le justiciable »,plaide Carine Denoit-Benteux, avocate qui a œuvré à la mise sur pied du Centre national de médiation des avocats. « Le grand public supporte de moins en moins l’aléa judiciaire et veut participer à la solution de son problème », affirmait M. Eydoux le 20 septembre. Chacun y va de son argument.

« Par nature, les notaires sont des pacificateurs dans l’âme qui ne veulent pas de contentieux », affirme Didier Coiffard, président du Conseil supérieur du notariat.

Le marché est d’autant plus bouillonnant que tout le monde peut se déclarer médiateur. En dehors de la médiation familiale, encadrée et pour laquelle des formations spécifiques sont financées par la Caisse d’allocations familiales, chaque filière élabore ses propres règles. Il ne s’agit pas pour ces professionnels de vivre de la médiation, mais de développer un complément d’activité.

« Un taux de satisfaction nettement plus élevé »

Le Conseil national des barreaux affirme que les 260 avocats recensés par son centre national ont dû justifier de deux cents heures de formation. Le CMAP compte parmi les 130 médiateurs qu’il sollicite des chefs d’entreprise en fin de carrière, des architectes, des ingénieurs informatiques, mais également des avocats et même d’anciens magistrats. L’Association nationale des médiateurs préfère mettre l’accent sur la démarche plutôt que la spécialité professionnelle des quelque 600 médiateurs qu’elle réunit. « Nous sommes des généralistes », justifie M. Morfoisse, qui a travaillé trente-cinq ans dans les ressources humaines.

Il y a à peine un an, la loi pour la justice du XXIe siècle prévoyait déjà d’étendre le recours à la médiation tout en apportant des garanties. Les cours d’appel vont devoir établir des listes de médiateurs et vérifier leur qualité. Le décret d’application publié le 9 octobre prévoit notamment une prestation de serment des médiateurs comme pour les autres auxiliaires de justice.

« Contrairement aux expertises sollicitées dans le cadre de procédures judiciaires, nous n’avons pas le moyen de contrôler la qualité du travail d’un médiateur puisque c’est confidentiel », s’inquiète Mme Arens, à la cour d’appel de Paris.

Labelliser les formations est une autre piste étudiée. Mais pour faire véritablement décoller cette pratique qui « apporte un taux de satisfaction nettement plus élevé aux justiciables », Mme Arens propose de « faire de la médiation un indicateur de performance de l’activité des juridictions ».

Jean-Baptiste Jacquin

Catégories : Communication

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